Date : Première année de l’ère Shjiànguó

Cette nuit était vraiment géniale !
Moi qui vient d’un petit village de campagne qui me détestait à cause de mes cheveux blanc, je n’ai jamais eu l’occasion de faire la fête. Ou même de m’amuser, tout simplement. Mais depuis que j’ai appris, je ne sais trop comment, à utiliser une énergie me permettant de manipuler les cadavres, les goules et autres créatures venant des morts, je me rattrape un peu. Et cette nuit je leur ai permis de faire de la musique et de danser tout en jouant moi-même de la flûte. Elle m’est très précieuse puisque je la considère comme le tout premier cadeau qu’on m’ait fait. La personne qui a eu la gentillesse de me l’offrir m’a raconté également l’histoire d’un grand homme ayant beaucoup de courage au point de changer son histoire. Mon héros depuis que j’ai commencé la même voie que lui. Cette nuit n’a été qu’une pause dans mon voyage pour en apprendre plus sur lui. Un voyage qui dure depuis longtemps parce que je ne sais pas comment me repérer et que je ne fais confiance à personne pour me guider. Mais qu’importe. Je suis libre et j’en profite au maximum. N’est-ce pas le plus important ? J’ai tout mon temps.

Le soleil se levant, j’ai profité d’être apparemment seul pour m’endormir dans mon arbre, caché dans son feuillage, la capuche de ma veste étrange sur la tête afin d’être certain de cacher la couleur atypique de mes cheveux. Mon sommeil n’a jamais été léger ou sans rêve. A vrai dire, je trouve étrange quand il m’arrive de me réveiller naturellement, sans peur ou panique. Ou sans que ce soit des poursuivants qui m’alertent d’une manière ou d’une autre. C’est donc sans surprise que je me réveille en sursaut après ce que je pense être seulement très peu de temps de sommeil. Un réveil si brutal que j’ai failli tomber de ma branche. Heureusement, je suis encore assez habile et alerte pour que je puisse me retenir un minimum. Plus de peur que de mal et je profite des doux rayons de soleil qui illuminent les couleurs chatoyantes des feuilles qui m’entourent. La paix ressemble certainement à ça, si on devait me le demander. Mais je sais qu’elle ne durera pas longtemps. Déjà parce qu’il va falloir que je me trouve de quoi manger, mais aussi parce qu’il serait étrange que personne ne veuille toucher la récompense qu’on dit grande gardée de côté pour quiconque parviendra à m’arrêter. Cette pensée me fait pousser un soupir de lassitude puisque, à choisir, je préférerais rester ici.

Le son de pas sur l’herbe non loin de ma position me fait tendre l’oreille. Il s’agit d’une personne marchant calmement, sans la moindre trace de précipitation ou de lenteur typique d’une recherche poussée d’indices. Un promeneur ? Ou un villageois venant rendre visite à un mort ? Heureusement que j’ai rangé les cadavres en essayant de les apaiser avant de dormir. Cela aurait été vraiment étrange de les voir se promener comme je l’ai laissé faire dans mon village natal. Je dois avouer que ce jour-là je n’y ai pas pensé. J’étais un gamin effrayé et bien trop choqué par ma nouvelle puissance pour ça. Sans parler du reste.
En regardant pensivement en direction des pas qui s’approchent, j’entrevois des vêtements blancs comme les miens. Le peu de couleur que je peux voir est essentiellement du bleu très clair comme le ciel en ce moment. Le vent frais fait danser les cheveux typiquement noirs de leur propriétaire avec une touche de blanc porté par un bandeau. Il a un air assez étrange, cet homme. Peut-être trop calme par rapport à tout ce que je connais. Intrigué, je bouge un peu sur ma branche, m’amenant à une position un peu plus précaire, pour mieux l’observer. Sans que je m’en rende compte, ce geste amène une branche fragilisée quand je me suis rattrapé à tomber non loin du tronc de l’arbre qui m’accueille. Silencieux et immobile, je tente de me faire le plus discret possible afin de ne pas être trouvé. Après tout, je ne sais pas s’il s’agit d’un ami ou d’un ennemi.

Date : Première année de l’ère Shjiànguó

Mon observation continue. Il ne peut pas en être autrement puisque lui semble être pris dans la recherche de la personne ayant fait tomber cette branche. Donc, à ma recherche. Il ne peut pas en être autrement puisqu’il a posé lui-même la question et qu’il cherche du regard. Il a de beaux yeux, mine de rien. Le genre dans lesquels ajouter quelques étoiles ne serait pas étonnant, comme dans un ciel noir. Si différent de ce qu’on dit des miens qui seraient ceux de l’engeance d’un démon, quoi que cela veuille dire. Je l’ai tellement entendu dire que je ne me vois pas vraiment autrement. Ce serait tellement étrange. Passer de “démon” à “beauté angélique”... ce n’est pas possible. Alors autant rester un démon jusqu’au bout des ongles. Même mes pratiques sont considérées comme étant démoniaques, alors tout va bien. Et lui ? Je me demande comment il est considéré par les autres. Un ange ? Un garçon sans intérêt ? Une personne intéressante ? Un génie ? Un moins que rien ? Pour une raison que j’ignore, je me pose toutes ces questions pour toute personne que je regarde de loin, m’imaginant sa vie, ses problèmes et ses joies. Tout ce que je n’aurais jamais, finalement. Devrais-je me sentir triste pour ça ? Actuellement je ne pense pas que cela me touche.

J’aurais préféré ne pas bouger du tout. Mais je sens que ma position est de plus en plus désagréable. J’ai des fourmis dans une de mes jambes et je ne sens plus une de mes fesses. Alors, aussi discrètement que possible, je bouge lentement sur ma branche pour avoir d’autres appuis. Manque de chance, les feuilles qui m’entourent sont trop sèches pour rester discrètes. Certaines bruissent doucement au contact de mes vêtements et d’autres tombent à cause du manque de vitalité. A moins qu’il ne soit complètement aveugle, le garçon a forcément compris que ce n’est pas un animal qui l’a pratiquement assommé avec une branche. Ce n’était pas ce que je voulais, mais je peux nier que c’est la vérité. Que va-t-il en penser ? De ce que j’en sais, à partir du moment où il me verra, et surtout qu’il comprendra qui je suis, alors il va me crier dessus en m’accusant de toutes sortes de maux, même ce que je n’ai jamais fait. J’ai envie de soupirer, mais je me retiens fortement pour éviter qu’il ne m’entende. Avec un peu de chance, il ne m’a toujours pas vu et croira toujours que des animaux font la fête sans pousser de cris. Est-ce possible au moins ? Pour une raison ou une autre, j’en doute un peu, mais sait-on jamais. C’est pourquoi je ne dévoile pas plus ma présence. Je ne serais pas celui qui ferait le premier pas. Il en est hors de question. Et s’il le fait comme quand il a demandé s’il y avait quelqu’un ? Ne serait-il pas dangereux de lui répondre ? Quoiqu’il n’est clairement pas sur le point de m’attaquer. Une épée n’est-elle pas rapide à sortir ? Et ce qu’il a dans son dos, qu’est-ce que cela peut être ? Il y a beaucoup trop d’inconnues dans cette situation pour que je puisse prendre des risques inconsidérés.

Plus loin, à l’opposée de la direction d’où le gars en blanc est venu, j’entends des voix plutôt lointaines. Peut-être des chasseurs, ou les accompagnateurs de cette personne qui me cherche toujours ? Avec un peu de chance, peut-être l’appelleront-ils et cela me libérera la chance de prendre la poudre d’escampette. Sinon, je vais être encore plus coincé que je ne le suis déjà. Alors, quelle est donc ma part de chance ? Le vent a-t-il tourné ou puis-je espérer avoir un peu plus de liberté ?